Quand le Nasdaq s’enrhume, la French Tech prend froid
Le 4 avril 1994, deux ingénieurs en informatique, James Henry Clark et Marc Andreessen, créèrent leur entreprise. Après six mois de travail, ils commercialisèrent leur premier produit : un navigateur internet nommé Netscape. En quatre mois, Netscape conquit les trois quarts du marché des navigateurs internet. À peine un an après sa création, l’entreprise Netscape entra en bourse. L’opération fut un succès : les investisseurs affluèrent, l’action de Netscape s’envola dès le premier jour, et son cours fut multiplié par 6 en 6 mois. Netscape fit gagner des millions de dollars à ceux qui avaient investi dans l’entreprise avant son entrée en bourse.
Le succès fulgurant de Netscape donna le coup d’envoi à des investissements démesurés dans un secteur numérique alors naissant. Les start-up levaient facilement des fonds, des centaines d’entreprises entraient en bourse. Les investisseurs rêvaient de gains importants liés à des croissances d’entreprise exponentielles. Ils étaient persuadés qu’une nouvelle révolution industrielle était en cours : Internet allait rapidement transformer l’économie. L’euphorie dura jusqu’en mars 2000. Un nombre croissant d’investisseurs se rendit alors compte qu’ils détenaient des actions d’entreprises aux modèles économiques très incertains, et les vendirent. Un vent de panique saisit les bourses mondiales. Le Nasdaq, la plus grande bourse de l’économie numérique, perdit 80 % de sa valeur entre mars 2000 et octobre 2002. C’était l’éclatement de la « bulle internet ».
Vingt ans plus tard, assistons-nous aujourd’hui à un nouveau krach des entreprises technologiques ? Comme en 2000, l’alerte sonne aux États-Unis, l’épicentre de l’économie numérique. Le Nasdaq a perdu 30 % au cours des 6 derniers mois. Les plus grandes entreprises sont touchées : Amazon a perdu 40 % depuis 6 mois, Apple 15 %, Alphabet (Google) 25 %. La chute est brutale : la moitié des entreprises du Nasdaq ont vu leur action chuter de 50 % ; un quart des entreprises, de 75 % ; et 5 % des entreprises ont perdu 90 % de valorisation.
Comment expliquer cette chute ? Les actions des entreprises technologiques baissent parce que les investisseurs qui détiennent ces actions les vendent. Et si les investisseurs les vendent, c’est parce qu’ils n’ont plus confiance dans la capacité de ces entreprises à leur faire gagner de l’argent — que ce soit sous la forme de dividendes annuels, ou de plus-values lors de la revente des actions. Pourquoi les investisseurs ont-ils perdu confiance, alors qu’ils achetaient de plus en plus cher les actions d’entreprises technologiques ? Plusieurs facteurs l’expliquent.
Premier facteur : les investisseurs craignent d’avoir surestimé la croissance d’entreprises qui ont prospéré grâce aux bouleversements sociétaux qui se sont produits pendant la crise du Covid-19. Les confinements successifs ont dopé la croissance (et la valorisation) d’entreprises qui ont permis au système économique de continuer à fonctionner malgré la distance entre les personnes. Entreprises liées au commerce en ligne (Shopify), au développement du télétravail (Zoom), au divertissement à la maison (Netflix), au sport à domicile (Peloton), à la livraison de repas (Uber Eats)… Aujourd’hui, les pays occidentaux retournent à une « vie normale ». Les gens passent moins de temps en ligne et sortent plus de chez eux. Peloton, une entreprise qui vend des tapis de course et des vélos d’appartement connectés, a annoncé le 10 mai dernier un chiffre d’affaires au premier trimestre moins élevé que prévu, et une perte de 757 millions de dollars. Netflix a perdu 200 000 abonnés au premier trimestre 2022, et prévoit d’en perdre 2 millions au second trimestre — l’action de Netflix a perdu 75 % de sa valeur par rapport à son pic de novembre 2021.
La croissance démesurée de la valeur boursière des entreprises technologiques a aussi été alimentée par les taux d’intérêt bas des banques centrales. Les actions des entreprises technologiques étaient les seules qui offraient des rendements intéressants pour nombre d’investisseurs, qui ont fait des investissements de plus en plus risqués. Mais aujourd’hui, les investisseurs se rendent compte qu’ils ont payé trop cher pour beaucoup d’entreprises. Par ailleurs, la remontée depuis quelques mois des taux d’intérêt de la Banque centrale américaine influence à la baisse les actions des entreprises dont les espérances de profits sont plus lointaines, comme la plupart des entreprises de l’économie numérique.
Autre facteur intéressant cité par un article de Time Magazine : les investisseurs individuels se détourneraient de l’investissement boursier. Pendant la pandémie, 25 % des actions des bourses américaines ont été achetées par des particuliers séduits par des plateformes (Robinhood, eToro…) qui rendent ludique l’investissement sur les marchés boursiers. La moitié de ces nouveaux investisseurs auraient aujourd’hui vendu leurs actions.
Enfin, le contexte économique dégradé contribue également à la baisse. Les investisseurs s’inquiètent pour leur avenir et placent leurs billes dans des entreprises moins risquées que les entreprises technologiques. Alors que le pouvoir d’achat des consommateurs baisse, les investisseurs se tournent vers des entreprises dont les produits sont moins affectés par les aléas du contexte économique, ou achètent des métaux précieux, comme l’or.
Le krach du Nasdaq a des conséquences très directes sur l’économie française, et particulièrement sur les entreprises du secteur numérique. Les entreprises technologiques se développent souvent grâce à des financements privés, qui leur permettent de partir d’une page blanche, et d’investir des montants importants pour développer leur technologie, et attirer des clients. Ces financements privés viennent d’investisseurs individuels (les business angels), et surtout de fonds d’investissement — les fonds de capital-risque. Ces fonds de capital-risque n’investissent pas leur propre argent : ils lèvent de l’argent auprès d’investisseurs, comme les fonds de pension américains, des compagnies d’assurance, des fonds souverains, des milliardaires… De leur côté, les riches investisseurs en question n’investissent qu’une fraction de leur argent auprès des fonds de capital-risque : leur argent est davantage investi dans les marchés boursiers, dont le Nasdaq. Or, la chute du Nasdaq leur fait perdre beaucoup d’argent, et modifie leurs prochaines décisions d’investissement : ils vont se tourner vers des investissements moins risqués, rééquilibrer leurs portefeuilles, et investir moins d’argent dans les fonds de capital-risque. Les entreprises numériques vont donc avoir moins d’argent pour financer leur croissance.
Les levées de fonds ont déjà ralenti au niveau mondial. En avril, Crunchbase annonçait que les financements mondiaux de capital-risque avaient baissé au premier trimestre de 2022 de 13 % par rapport au quatrième trimestre de 2021. Le 4 mai dernier, Crunchbase montrait que les financements des start-up européennes en mars et avril, étaient en baisse de 39 % par rapport aux mois de janvier et février. Dans le Figaro, plusieurs associés français de fonds de capital-risque préviennent que les startup françaises vont avoir plus de difficultés à trouver des fonds, que les investisseurs seront plus exigeants, et les levées de fonds moins importantes. Si vous êtes le dirigeant d’une entreprise numérique et que vous comptez lever des fonds au cours des prochains mois, vous serez peut-être intéressé par les conseils que l’accélérateur américain Y Combinator a donnés dans une lettre aux dirigeants des start-up qu’il accompagne.
Les entreprises françaises de services brillent à l’export
Nous évoquions la semaine dernière le record battu en mars dernier par le déficit commercial français. Dans ce triste tableau, les services tirent leur épingle du jeu. Alors que sur la plupart des catégories de biens, la France importe plus qu’elle n’exporte, c’est l’inverse pour les services. Au premier trimestre, la balance commerciale des services (la différence entre les exportations et les importations de services) a dégagé un excédent de 16 milliards d’euros. À titre de comparaison, la balance des services était en 2019 de 22 milliards d’euros pour toute l’année. Les services représentent une part croissante de nos échanges commerciaux : la part est passée de 24 % en 2000 à plus de 30 % en 2020.
Deux secteurs sont à l’origine des bons chiffres de ce début d’année : le tourisme et le transport. Selon Les Échos, le tourisme retrouve ses niveaux d’avant-crise. Les dépenses des touristes étrangers en France, qui sont comptabilisées comme des exportations françaises de services, se sont élevées en février à 2,7 milliards d’euros, en hausse de 1,5 milliard par rapport à 2021. Les bons chiffres des transports viennent principalement du fret maritime, et d’une grande entreprise, CMA-CGM, le troisième transporteur mondial, qui a réalisé un chiffre d’affaires record. La désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales liées à la reprise économique post-Covid ont provoqué une augmentation du coût du fret maritime.