La Banque de France ne voit pas de vague de faillites à l’horizon
Barbe-Bleue, le conte de Charles Perrault, met en scène une femme sur le point d’être assassinée par son mari, le fameux Barbe-Bleu. La scène se passe dans le château de ce dernier. Les intentions du mari sont claires. La femme de Barbe-Bleue sait que son mari veut la tuer. Elle sait aussi que ses deux frères (à elle) sont en route vers le château. Elle redouble donc d’astuce pour gagner du temps dans l’espoir que ses frères parviennent au château avant que son mari ne la tue. Prétextant le besoin de se recueillir une dernière fois avant de mourir, la femme de Barbe-Bleue se réfugie dans les étages du château, en compagnie de sa sœur, Anne, à qui elle demande de regarder au loin pour guetter l’arrivée de leurs frères.
Alors que Barbe-Bleue presse sa femme de redescendre pour qu’il puisse en finir avec elle, cette dernière, qui fait semblant de prier, passe en fait son temps à interroger sa sœur, en lui demandant à plusieurs reprises et avec empressement : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ». Et Anne de lui répondre systématiquement : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. » Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’Anne finisse par distinguer deux cavaliers qui font route vers le château. Ce sont ses frères qui arrivent enfin. Anne les reconnaît et leur fait signe de presser le pas. Les frères s’exécutent, ils accélèrent, ce qui leur permet d’atteindre le château avant que Barbe-Bleue n’ait le temps de passer à l’acte. Non contents d’avoir sauvé leur sœur d’une mort certaine, les deux frères attrapent Barbe-Bleue par la barbichette et lui règlent son compte. Fin de l’histoire.
Bien que Barbe-Bleue date de 1697, nous assistons depuis plusieurs mois à une déclinaison moderne du conte de Perrault, avec la Banque de France dans le rôle de la sœur (Anne) et une vague de faillites dans le rôle des deux frères. Sauf que contrairement aux cavaliers du conte original, qui finissent par arriver, la vague de faillites n’arrive jamais, elle. Rien ne luit au loin. Maintes fois annoncé, le tsunami de liquidations tant redouté par de nombreux commentateurs ne semble pas se profiler à l’horizon. À la question : « Banque de France, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? », la Banque de France vient donc encore une fois de répondre : « Je ne vois rien que l’endettement brut qui croît, et la trésorerie des entreprises qui s’accroît. »
Avant de dire qu’elle ne voit aucune vague de faillites venir, la Banque de France s’est penchée sur les bilans des entreprises à qui elle attribue une cotation, comme elle le fait chaque année. Sur leur blog, les analystes de la Banque de France expliquent en effet qu’ils viennent de boucler leur campagne de cotation pour l’année 2021. Dans le cadre de cet exercice, la Banque de France a épluché les comptes de plus de 200 000 entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 750 000 €. Comme les comptes auxquels la Banque de France a eu accès ont été arrêtés en décembre 2020 pour la plupart, ils renseignent sur les effets que la crise a pu avoir sur les entreprises.
Que voit la Banque de France ? Elle voit que la dette brute des entreprises, c’est-à-dire la dette que les dirigeants ont mobilisée sans forcément l’utiliser, a progressé de 224 milliards d’euros entre fin décembre 2019 et fin mars 2021. Elle voit aussi que la trésorerie des entreprises a augmenté de 215 milliards sur la même période, bien aidée en cela par le prêt garanti par l’État. Au total, la dette nette des entreprises, c’est-à-dire la part de dette vraiment consommée, n’a donc augmenté « que » de 9 milliards d’euros. Un chiffre conséquent, certes, mais pas alarmant, comme nous en avons déjà parlé dans notre newsletter.
Est-ce à dire que la Banque de France ne voit vraiment rien venir ? Pas tout à fait. Les analystes indiquent que 14 % des entreprises ont vu leur endettement augmenter pendant que leur trésorerie baissait, ce qui en fait des entreprises « sensibles ». Si la Banque de France encourage le gouvernement à surveiller de près les entreprises « sensibles », elle ne parle pas de vague de défaillances pour autant. Au contraire, elle nuance en disant que seules 6 à 7 % des entreprises à qui elle attribue une cotation devront faire l’objet d’une attention particulière. Pas de vague de faillites en vue, donc, mais quelques remous à prévoir tout de même. Après la barbe bleue, voici venu le temps du drapeau orange.
Le Sénat demande aux PME de prendre la cyber-sécurité au sérieux
Comment vont les pirates informatiques ? Très bien, merci pour eux. Un récent rapport du Sénat sur la cyber-sécurité des entreprises françaises semble même indiquer en creux que les pirates vivent de mieux en mieux. Et pour cause : le numérique gagne du terrain dans les entreprises, ce qui a pour effet de multiplier les portes d’entrées offertes aux pirates. Dans le même temps, la cyber-criminalité se professionnalise, devient une industrie à part entière, bien aidée par le développement des crypto-monnaies et la complaisance de certains États. Pour finir de planter le décor, les sénateurs précisent que 43 % des PME françaises ont déclaré avoir subi une cyber-attaque en 2020 — un chiffre probablement sous-évalué, dans la mesure où certaines PME ne déclarent pas les cyber-attaques dont elles sont victimes.
Comme à chaque fois qu’on parle de cyber-sécurité des PME, la même question revient : mais pourquoi les pirates iraient-ils s’en prendre à la PME du coin quand ils peuvent s’attaquer à des groupes pharmaceutiques comme Pierre Fabre ? Réponse : parce que les pirates peuvent faire les deux. Si, jusqu’en 2018–2019, certaines PME pouvaient encore considérer que leur faible recours aux outils numériques suffisait à les prémunir contre les cyber-attaques, la situation a changé au cours du premier confinement, début 2020. Contraintes de fermer, la plupart des PME se sont alors numérisées à marche forcée, ce que les pirates n’ont pas tardé à exploiter, puisque les attaques par hameçonnage (phishing) auraient été multipliées par 8 entre le 1er et le 23 mars 2020.
Si les pirates s’en prennent de plus en plus aux PME, c’est aussi, nous dit le rapport, parce que les grandes entreprises se protègent de mieux en mieux contre les cyber-attaques. Les gros poissons ne mordant plus aussi facilement qu’avant à l’hameçon, les pirates se tournent donc vers les poissons de taille moyenne, c’est-à-dire des PME (10 à 250 employés). Non seulement les PME sont plus vulnérables que les grandes entreprises, mais elles peuvent aussi servir de porte d’entrée dérobée vers ces dernières, ce qui représente un double avantage pour les pirates. En s’attaquant aux fournisseurs d’une grande entreprise, les pirates font d’une pierre deux coups : ils réalisent un piratage facile (1) et ils récupèrent au passage des informations qui les aideront peut-être à faire plier une grande entreprise un jour (2).
Face à l’ampleur de la cyber-menace, les sénateurs constatent que les agences gouvernementales spécialisées dans la cyber-sécurité surveillent en priorité les sociétés dont l’importance est « vitale » pour l’économie française, ce qui laisse la majorité des PME à découvert. Autre problème souligné par les sénateurs, les différents acteurs publics qui luttent contre la cyber-criminalité ne sont pas toujours très faciles à distinguer les uns des autres. En cas de cyber-attaque, les PME doivent-elles appeler la gendarmerie du coin ou l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ? Doivent-elles ensuite prendre contact avec l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) ou avec le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) ? Pas évident de s’y retrouver, en effet.
Alors que faire ? Les sénateurs avancent plusieurs pistes. Par exemple : faciliter les dépôts de plaintes anonymes en cas de cyber-attaque, sensibiliser les salariés à la cyber-sécurité, adapter la réponse judiciaire à l’état actuel de la cyber-criminalité, et ainsi de suite… Les sénateurs encouragent aussi le développement d’un « écosystème » français de la cyber-sécurité, estimant que ce marché pèse déjà 13 milliards d’euros et emploie déjà 67 000 personnes en France. Si vous vous dites « tout ceci est très bien, mais qui va payer pour aider les PME à se protéger ? », les sénateurs vous répondent qu’un crédit d’impôt pourrait être mis en place dans le but de couvrir une partie des dépenses de cyber-sécurité engagées par les PME.