Les salaires (et les prix) devraient augmenter en 2022
Admettons que vous dirigiez une PME assez structurée pour salarier un comptable à temps plein. Admettons aussi que votre comptable vienne vous voir en disant : « Hum, possible de remplacer le terme “comptable” dans mon intitulé de poste par Senior Vice President Worldwide Finance ? Merci. » Admettons enfin que votre comptable se prénomme Régis. Que répondez-vous à la question posée par Régis ? Deux options s’offrent à vous.
La première option consiste à dire : « Écoute Régis, pourquoi pas ? Si ça peut te faire plaisir d’inscrire Senior quelque chose sur ta carte de visite, ça me va. Et puis les titres anglais, ça fait moderne, c’est bien. » Dans cette option, vous considérez que les intitulés de poste n’ont pas vraiment d’importance, vous les envisagez comme un moyen d’acheter la paix sociale sans rien avoir à payer au passage. La deuxième option consiste à dire : « Argh, je suis désolé Régis, mais tant que tes responsabilités sont celles d’un comptable, ton intitulé de poste restera “comptable”. » Dans cette option, vous considérez que les titres importants viennent récompenser des responsabilités importantes assumées avec brio. Vous adoptez une vision méritocratique : les titres se gagnent, ils ne se réclament pas.
Maintenant, admettons que Régis revienne vous voir pour vous demander une augmentation. Que faites-vous ? Si vous avez accepté de changer l’intitulé de son poste, vous pouvez rappeler à Régis que vous venez de lui accorder une faveur, ce qui vous permet de repousser sa négociation salariale de quelques mois. En revanche, si vous avez refusé de changer le titre de Régis, vous n’avez plus beaucoup de recours : un second refus de votre part et Régis pourrait être tenté d’aller voir ailleurs, comme le sont 52 % des cadres en ce moment, d’après le dernier baromètre trimestriel de l’APEC. L’ennui avec les avantages en nature, comme les intitulés de poste exagérément lyriques ou les voitures de fonction, c’est qu’ils n’impressionnent plus personne le jour où ils deviennent la norme.
Nous assistons actuellement à un mouvement similaire, avec le télétravail dans le rôle de l’intitulé de poste ronflant. Longtemps considérée comme un privilège accordé par l’employeur, la possibilité de travailler à distance est devenue un prérequis pour plus de la moitié des salariés français — quand leur métier le permet, bien sûr. Dans ces conditions, que peuvent faire les dirigeants qui souhaitent retenir leurs salariés ? Si offrir des conditions de travail plus flexibles permet sans doute d’attirer des candidats qui en sont actuellement dépourvus, ce genre d’avantages ne va hélas pas suffire à retenir les employés qui considèrent que la flexibilité est désormais acquise partout. Les avantages en nature attirent bien, mais retiennent mal.
Que faire quand les avantages en nature n’impressionnent plus grand monde ? La réponse est simple : augmenter les salaires. Puisque les avantages en nature n’ont plus le même éclat que par le passé, l’argument financier revient sur le devant de la scène. Après deux années passées à serrer les dents, les salariés réclament à présent leur récompense. Comment réagissent les dirigeants de PME ? D’après la dernière enquête de la CPME, 34 % des dirigeants de PME vont augmenter les salaires de tous leurs employés à partir du 1er janvier 2022. Pour 15 % des 1 036 chefs d’entreprise sondés par la CPME, les augmentations envisagées dépassent même les 2 % — ce qui compensera à peine l’inflation, comme le rappelle la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).
Toujours d’après la CPME, 58 % des dirigeants craignent qu’une entreprise concurrente vienne débaucher leurs salariés. Dans ces conditions, pas étonnant que des négociations salariales soient en cours dans 57 branches professionnelles. De leur côté, les candidats et les salariés ont très bien compris que la raréfaction de certaines compétences jouait en leur faveur. Pour preuve : 76 % des dirigeants de PME constatent une hausse des prétentions salariales chez les candidats. Les salariés ne démissionnent pas pour le plaisir de démissionner, ils ont simplement compris que la crise sanitaire avait rebattu les cartes de l’emploi : la demande de main d’œuvre augmente dans certains secteurs, comme la logistique ou la livraison, pendant que l’attractivité d’autres branches diminue, comme l’hôtellerie ou la restauration.
Si les salariés peuvent se réjouir à l’idée de voir leur rémunération augmenter, la CPME pose la question qui fâche : qui va payer pour ces augmentations ? Parmi les chefs d’entreprise qui prévoient d’augmenter leur salariés en 2022, 61 % d’entre eux déclarent qu’ils rogneront sur leurs marges pour augmenter leurs employés. Comme plusieurs réponses à la question qui fâche étaient possibles, 40 % des dirigeants du même groupe envisagent aussi de financer leurs augmentations par des hausses des prix — ce qui revient à prendre plus à leurs clients pour donner plus à leurs équipes. Enfin, pour 18 % des dirigeants qui prévoient de sortir le chéquier en 2022, ce sont les fournisseurs qui paieront en partie les hausses de salaires, sous la forme de factures renégociées à la baisse. Alors que 8 dirigeants sur 10 se disent aussi concernés par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, la hausse du prix de la « matière grise » va sans doute contraindre les chefs d’entreprise à trouver de nouvelles équations comptables dans les mois qui viennent. Régis doit pouvoir aider.
L’Inspection du travail va inspecter plus
La confiance n’excluant pas le contrôle, l’Inspection du travail va procéder à 5 000 contrôles par mois pour voir si les entreprises respectent bien le dernier protocole sanitaire en date. En cas de légèreté dans le respect des « gestes barrières », l’Inspection du travail pourra prononcer des mises en demeure, c’est-à-dire des rappels à l’ordre, voire des sanctions, c’est-à-dire des contraventions à payer.
Plus que la présence de gel hydroalcoolique dans les sanitaires, c’est la bonne mise en place du télétravail qui sera sujette à vérification par l’Inspection du travail. Si le gouvernement entend multiplier le nombre de contrôles mensuels par cinq, pour le passer de 1 000 contrôles par mois à 5 000, c’est sans doute parce que les entreprises qui imposent encore un jour de télétravail par semaine (au moins) ne représentent plus que 8 % des salariés, contre 19 % au 31 août dernier — date à laquelle le télétravail a cessé d’être officiellement obligatoire.
Pour encourager les dirigeants à appliquer le nouveau protocole sanitaire, sans pour autant rendre le télétravail obligatoire, le ministère du Travail entend jouer la carte du dialogue. D’après la ministre du Travail, Élisabeth Borne, les inspectrices et les inspecteurs du travail prendront aussi l’opinion des salariés en compte. Par exemple, si un chef d’entreprise refuse d’autoriser ses employés à travailler ponctuellement à distance, bien que ces derniers soient capables de le faire (1) et bien qu’ils en aient fait plusieurs fois la demande (2), alors le chef d’entreprise en question recevra une mise en demeure.
Si la multiplication des contrôles menés par l’Inspection du travail ne suffit pas à remettre le télétravail au goût du jour, Martin Villelongue, du cabinet de recrutement Michael Page, avance un argument encore plus redoutable que la mise en demeure : la perte probable des employés. D’après Martin Villelongue, dont Challenges rapporte les propos, les entreprises qui contraignent leurs salariés à venir tous les jours au bureau enregistrent plus de démissions que celles qui ont opté pour une organisation hybride, mêlant télétravail ponctuel et travail sur site.