Les PME se passent de McKinsey
Comment vont les cabinets de conseil ? Pendant que les sénateurs se demandent s’il est bien raisonnable que des ministères fassent appel à des cabinets de conseil privés, personne ne se demande si les dirigeants de PME sont friands de consultants, eux. La question mérite pourtant d’être posée. Contrairement aux administrations centrales, les PME ne disposent pas en leur sein d’inspecteurs généraux capables de les conseiller. Elles n’emploient pas des milliers d’agents aux expertises variées. Les PME ne peuvent pas non plus mandater des spécialistes pour réaliser une étude avant chaque décision importante. À rebours des ministres, qui peuvent compter sur leurs adjoints pour les conseiller, les dirigeants de PME décident souvent seuls. Rarement entourés de conseillers, les chefs d’entreprise à la tête de PME auraient tout intérêt à s’offrir les services de consultants, au moins ponctuellement.
Mais qu’en est-il vraiment ? Les dirigeants de PME font-ils appel aux consultants de temps en temps ? Comme les sénateurs ne se sont pas posé la question, il faut remonter à 2012 pour trouver des données sur le sujet. Cette année-là, les membres de la Chambre de l’ingénierie et du conseil de France Management (CICF) avaient demandé à 1 012 dirigeants de PME ce qu’ils pensaient des cabinets de conseil. Verdict : 50 % des sondés déclaraient n’avoir jamais fait appel à un cabinet de conseil — cette part était d’autant plus grande que la PME était petite. Seuls 35 % des dirigeants sondés à l’époque déclaraient avoir fait appel à des cabinets de conseil à plusieurs reprises. Interrogés sur les raisons de leur désintérêt pour le conseil, les dirigeants de PME répondaient qu’ils n’avaient pas besoin de faire appel à des consultants pour décider à leur place.
Est-ce à dire que les dirigeants de PME ne font jamais appel à qui que ce soit, et décident de tout, tout seuls ? Pas vraiment. Après avoir sondé près de 2 400 chefs d’entreprise en 2016, Bpifrance a montré que 93 % des PME de moins de 50 salariés font appel à un expert comptable indépendant — qui agit donc un peu à la manière d’un consultant. À titre de comparaison, seules 35 % des PME de moins de 50 personnes déclaraient faire appel à des cabinets de conseil en stratégie. Dans les PME plus structurées, celles qui emploient entre 50 et 249 salariés, le taux de recours au conseil en stratégie augmente un peu, pour atteindre 44 %, mais il reste loin derrière le recours au conseil juridique (97 %). En somme, les dirigeants de PME font souvent appel à des prestataires, mais rarement pour du conseil en stratégie.
Pourquoi les dirigeants de PME gardent-ils leurs distances avec les McKinsey de ce monde ? Il y a le coût, bien sûr. Le conseil en stratégie coûte cher, pour un retour sur investissement pas toujours manifeste ou immédiat, comme l’a suggéré le Sénat. Par-delà le coût, il y a aussi l’image. Seuls 60 % des dirigeants de PME sondés par Bpifrance en 2016 disaient avoir une bonne image du métier de consultant. Quand on sait que 88 % des chefs d’entreprise à la tête de PME ont fait appel à un cabinet de conseil sur recommandation de leurs pairs, on comprend que la mauvaise opinion des uns débouche sur la réticence des autres. Avant de s’engager avec un prestataire, qu’il soit comptable, banquier, ou consultant, les entrepreneurs à la tête de PME ont besoin de lui faire confiance — une étude sur le même thème arrivait à la même conclusion dès 2003. Et à choisir, les dirigeants préfèrent être seuls plutôt qu’être mal accompagnés par des cabinets qui leur vendent des « solutions » calibrées pour des administrations ou des grands groupes.
Pourquoi certaines PME restent bloquées à 49 salariés (sur le papier)
Dans la comptabilité nationale, le groupe des PME rassemble toutes les entreprises qui emploient moins de 250 salariés. Vaste groupe donc. Mais qu’en est-il en droit ? Les PME qui emploient 2 salariés sont-elles soumises aux mêmes obligations légales que celles qui comptent 248 employés ? La réponse est non. Les PME ne sont pas toutes soumises aux mêmes obligations. Plus une PME compte de salariés et plus ses obligations légales s’accroissent. Mais la croissance des obligations légales qui pèsent sur les PME n’est pas linéaire. Une PME qui emploie 99 personnes n’est pas soumise à 1 % de contraintes légales en plus quand elle passe de 99 à 100 salariés. Au lieu de ça, il existe des seuils, des paliers, exprimés en nombre de salariés, et à partir desquels les PME « basculent » dans des régimes d’obligations sociales plus contraignants.
Où se situent les seuils en question ? Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi PACTE, le 1er janvier 2020, les seuils qui faisaient passer une PME d’un régime social à un autre se situaient à 11, 20, 50, et 250 salariés. Dit autrement, une PME qui passait de 10 à 11 salariés en 2012 se voyait soumise à plus d’obligations légales à partir du 1er janvier 2013 — l’année d’après. La loi PACTE a (partiellement) supprimé le seuil qui se situait à 20 salariés, mais les seuils qui se situent à 11, 50, et 250 salariés subsistent. Parmi ces trois seuils, celui des 50 salariés semble être le plus redouté. Pourquoi ? Parce qu’à partir de 50 salariés, une entreprise doit organiser des élections professionnelles pour déterminer la composition de son comité d’entreprise (CSE). Le passage de ce seuil s’accompagne aussi de taxes supplémentaires. À partir de 50 salariés, les PME paient le « 1 % logement » (PEEC), le « 1 % formation professionnelle », et le « 0,50 % aide au logement » (FNAL). Accessoirement, une PME de 50 salariés se doit d’établir un règlement intérieur et d’aménager une salle de restauration pour ses salariés.
Ces obligations légales ne sont certes pas insurmontables, mais elles peuvent faire réfléchir les PME dont le nombre de salariés se situe juste en dessous de 50. Certains dirigeants peuvent être amenés à se demander si le passage du « seuil des 50 » vaut le coup — et le coût. Il arrive même que des dirigeants « s’arrangent » avec les chiffres de leur effectif, pour rester dans le club des PME qui emploient moins de 49 salariés, même quand ils comptent plus de 50 employés en réalité. Bien sûr, une PME de 234 salariés peut difficilement se faire passer pour une PME de 35 personnes, mais une PME de 52 personnes peut très bien se présenter comme une PME de 49 salariés, sur le papier. Une récente étude, menée par l’Institut des politiques publiques (IPP), montre que 70 % des entreprises qui se situent juste en dessous de la barre des 50 salariés déclarent un nombre d’employés… artificiellement bas… pour ne pas basculer dans la tranche supérieure, synonyme d’obligations légales plus nombreuses.
Concrètement, les PME qui déclarent 49 salariés sont beaucoup plus nombreuses que celles qui en déclarent 50. Coïncidence ? Pas tout à fait. Il s’agit plutôt d’un effet d’optique, une distorsion administrative. Dans les faits, le « pic des 49 salariés » n’existe pas vraiment. En examinant les cotisations sociales payées par les PME, cotisations qui traduisent exactement le nombre de personnes employées par telle ou telle PME, les analystes de l’IPP se sont aperçus qu’il y avait un écart entre les déclarations des PME et la réalité du terrain. En réalité, il y a presque autant de PME de 50 personnes que de PME de 49 personnes. Le pic des 49 salariés n’existe que sur le papier. Comme les contrôles sont rares et les sanctions peu menaçantes, certains dirigeants font leurs calculs, et en arrivent à la conclusion qu’une sous-déclaration d’effectif leur coûtera moins cher qu’une déclaration fidèle à la réalité suivie d’un passage de seuil. Que faire alors ? L’IPP recommande au législateur de simplifier la mesure des effectifs, et les différentes obligations légales qui en découlent, pour que le passage dans la tranche supérieure fasse moins peur aux entrepreneurs.