Les virements instantanés ne s’imposent pas instantanément
Mettez-vous à la place de la Banque de France. Imaginez ce que vit le régulateur. Vous devez encourager l’adoption de moyens de paiement innovants, comme le paiement sans contact. Parallèlement, vous souhaitez en finir avec le chèque, un moyen de paiement qui est à la fois peu utilisé (5 % des transactions en 2020) et souvent détourné (42 % des fraudes en 2020). Que feriez-vous si vous étiez à la place du régulateur ? Vous pourriez recommander aux gens qui utilisent des chèques de se rabattre sur les espèces, bien sûr, mais le montant moyen des chèques (522 € en 2020) est bien supérieur au montant moyen des paiements en liquide (12 € en 2019). Possible que ça coince. Autre problème : en tant que régulateur français, vous avez appliqué la décision du régulateur européen (la BCE), et mis un terme à la production des billets de 500 € en 2016. Vous pouvez donc difficilement encourager leur utilisation en 2022. Que pouvez-vous donc faire pour achever le chèque sans remettre le billet de 500 € au goût du jour ?
Réponse : optez pour un remplacement « poste pour poste ». Faites la liste des moyens de paiement dont les Français disposent, et voyez s’il n’y en a pas un qui se situe dans les mêmes ordres de grandeur que le chèque, c’est-à-dire aux alentours des 500 € en moyenne par transaction. Là encore, ça tombe bien, car en tant que Banque de France, vous disposez de statistiques sur les moyens de paiement. Vous allez donc voir à la page 81 du rapport préparé par vos amis de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, et là, heureuse surprise, vous voyez que le montant moyen des virements instantanés (586 €) équivaut à peu près au montant moyen des chèques (522 €). Dans ces conditions, pourquoi ne pas tenter de remplacer les chèques par des virements instantanés ? Vous pourriez commencer par rappeler que le niveau de fraude sur les chèques est très élevé. Ensuite, vous pourriez inviter les particuliers et les professionnels à s’intéresser au virement instantané, pour voir si la mayonnaise prend…
Prenons la Banque de France au mot, justement, et intéressons-nous aux virements instantanés. Rappelons que les virements instantanés existent depuis 2018. Comme leur nom l’indique, les virements instantanés sont des virements, mais contrairement aux virements ordinaires, qui ne sont crédités à leur destinataire qu’au bout de quelques jours, les virements instantanés arrivent à destination en moins de 10 secondes. Vous avez bien lu : en moins de 10 secondes, vos fonds passent de votre compte à celui de votre destinataire, qui peut les utiliser de suite, sans attendre. Autre différence entre les deux types de virements dont il est question ici : les virements instantanés sont disponibles 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, toute l’année, même quand les banques sont fermées — alors que les virements normaux sont mis en pause pendant certains jours fériés. Ultime nuance : toutes les banques présentes dans l’espace de paiement européen (SEPA) doivent prendre en charge les virements normaux, mais elles n’ont pas pour obligation de prendre en charge les virements instantanés — c’est facultatif, et les développements pour y parvenir sont à leurs frais.
Dans les faits, comme les banques jouent le jeu de l’innovation, 97 % des comptes bancaires domiciliés en France sont d’ores et déjà compatibles avec l’envoi et la réception de virements instantanés. Si vous avez un compte dans une grande banque française, vous pouvez sans doute envoyer et recevoir des virements instantanés. Hélas, d’après les chiffres de la même Banque de France, vous ne le faites pas, ou pas souvent. Sur 100 virements effectués en France, à peine 3 sont des virements instantanés. Dans le reste de l’Europe, la part des virements instantanés dans le total des virements (en nombre) se situe à 10 %. La France est donc en retard. Qu’est-ce qui coince ? Réponse : le prix, le surcoût facturé par les banques françaises lors de l’envoi d’un virement instantané. Comme les banques ont fait des efforts techniques pour prendre en charge les virements instantanés, et comme l’instantanéité des virements en question oblige les banques à faire des analyses de risque en moins de 10 secondes, ces dernières facturent presque toutes l’envoi de ces virements accélérés — au prix de 1 € par virement instantané dans la plupart des cas.
Faire payer ou ne pas faire payer ? Telle est la question. D’un côté, les banques n’exagèrent pas quand elles disent que l’intégration et la gestion des virements instantanés a un coût. De l’autre, le régulateur se rend bien compte que l’usage du virement instantané ne décollera vraiment que le jour où ce type de virement ne coûtera pas plus cher qu’un virement ordinaire. Arbitrage délicat. Pour que les banques acceptent de baisser le prix des virements instantanés, le volume des virements instantanés doit augmenter ; mais pour que le volume augmente, les banques doivent baisser leur prix. C’est sans fin, et sans début non plus. Heureusement, la Banque de France a une idée : expliquer aux banques que chaque virement instantané en plus représente un chèque en moins — car les premiers peuvent se substituer aux seconds. Comme les chèques coûtent encore plus cher aux banques que les virements instantanés, il est possible que cet argument fasse mouche. Signe d’un début d’inflexion : la Banque Postale ne fait plus payer les virements instantanés, aux entreprises comme aux particuliers, depuis le début de l’année.
P.-S. Les virements instantanés sont disponibles chez Memo Bank, en émission comme en réception, et ils ne coûtent pas plus cher que les virements ordinaires.
4 ans de plus
Pour les 386 658 entreprises qui ont eu recours à un prêt garanti par l’État (PGE) entre mars et mai 2020, et qui n’ont pas commencé à le rembourser au printemps 2021, l’heure du remboursement a sonné. Nous sommes arrivés au terme des deux années de franchise de remboursement dont ont bénéficié bon nombre d’entreprises. Les remboursements doivent donc commencer. Est-ce que toutes les entreprises sont concernées, absolument toutes, même celles qui ne peuvent vraiment pas rembourser ? Non, car il existe un ultime recours. Ce recours, c’est la médiation du crédit. Au cas par cas, le médiateur du crédit peut accorder 6 mois de franchise de remboursement supplémentaire. Mais dans les faits, seule une trentaine d’entreprises au total ont bénéficié de ce répit supplémentaire.
Quand on sait que le montant moyen des PGE accordés à près de 19 000 PME entre mars et mai 2020 s’élevait à 1,2 million d’euros, cela signifie concrètement que les PME qui commencent à rembourser leur PGE en ce moment disposent de 4 ans pour rembourser un peu plus d’un million d’euros — car la durée totale du PGE ne peut excéder 6 ans. En clair, les PME concernées vont devoir trouver un moyen de rembourser un peu plus de 25 000 € par mois, en moyenne, sans compter les intérêts du crédit. Dans un contexte de hausse du prix des matières premières, de l’énergie, et des salaires, la confédération des PME (CPME) craint que certaines entreprises ne puissent pas sortir 25 000 € en plus chaque mois. Après avoir plaidé (sans succès) pour que la durée maximale du PGE soit portée de 6 à 8 ans, la CPME demande désormais au gouvernement de porter la durée maximale du PGE de 6 à 10 ans — ce qui reviendrait à doubler le temps dont les entreprises disposent pour rembourser leur PGE.