Magazine
Newsletters

L’inflation des aides anti-inflation

Brice Boulesteix

icon dot

06 janvier 2023

La newsletter Memo Bank du 6 janvier 2023.

Bonjour, vous lisez la newsletter de Memo Bank, la nouvelle banque indépendante pour les PME. Si vous nous suivez déjà depuis quelque temps, merci beaucoup. Et si vous nous découvrez tout juste, bienvenue à vous.

À lire

De l’aide pour comprendre les aides destinées aux PME

Voici une idée de start-up potentiellement viable :

  1. Attendez que le gouvernement français mette en place une aide censée soutenir une certaine population d’entreprises ;
  2. Lisez le dossier de presse publié par le ministère chargé de communiquer sur l’aide au moment de sa sortie ;
  3. Laissez la presse généraliste tenter d’expliquer l’aide en question et notez les points mal dégrossis par les journalistes ;
  4. Publiez sur votre site la première explication complète et à peu près compréhensible de l’aide dont tout le monde parle ;
  5. Recommencez l’opération à chaque fois qu’un nouveau dispositif de soutien à tel ou tel public voit le jour en France ;
  6. Profits garantis à vie, potentiellement.

Pourquoi cette idée de start-up ne devrait pas être viable dans un monde idéal ? Parce que dans un monde idéal, l’annonce d’une nouvelle aide déboucherait sur la mise en ligne d’un formulaire et d’une documentation permettant à tout un chacun de comprendre l’aide et d’en faire la demande. Idéalement, il ne devrait pas y avoir de traducteur entre les administrations (qui produisent les aides) et les entreprises (qui bénéficient des aides). En théorie, une start-up spécialisée dans la traduction du français administratif vers le français courant ne devrait donc pas être viable. Si notre idée de start-up peut sembler viable, c’est parce que le monde réel est plus compliqué que le monde idéal.

Dans le monde réel, le Président de la République lui-même admet en public que les tableaux explicatifs produits par les ministères sont parfois « incompréhensibles ». En réalité, le ministre de l’Économie concède (sur Twitter) que certaines aides ne sont pas suffisamment connues. En pratique, même les journalistes qui prennent le temps d’expliquer un dispositif gouvernemental ne sont pas à l’abri de se faire reprendre par d’autres journalistes, au motif que leurs explications sont imprécises voire erronées. Dans l’état actuel des choses, il y a donc probablement de la place pour une start-up qui aiderait les dirigeants à comprendre les aides les plus incompréhensibles. À moins que la place ne soit déjà prise ?

Et si la place était déjà prise ? Après tout, les cabinets d’avocats, d’expertise comptable, et de conseil n’ont pas attendu notre idée de start-up pour vendre à leurs clients des fiches explicatives sur les mécanismes publics présents ou à venir. Le crédit impôt recherche (CIR), le prêt garanti par l’État, ou encore la facture électronique ne sont pas seulement des mécanismes publics, ce sont aussi des sources de référencement naturel et de revenus pour les entreprises qui vivent du conseil aux entreprises. Une sorte de rente de complexité, rendue possible par l’État, involontairement entretenue par lui, et pas franchement combattue par les experts qui en profitent. Mais la situation des PME serait-elle meilleure si personne n’était là pour les conseiller ?

Prenons l’exemple des aides versées aux entreprises dont les factures de gaz et d’électricité flambent depuis quelques mois. Admettons que vous dirigiez une PME affectée par la hausse des prix de l’énergie. Admettons que vous n’ayez que votre ordinateur et votre connexion à Internet pour connaître les aides auxquelles vous avez droit. Par où commenceriez-vous ? Vous vous dites qu’il vaut mieux aller chercher les informations à la source, sur le site d’une administration publique ? Excellente idée. Mais par quel site commencer ? Le site entreprendre.service-public.fr parle des aides énergétiques. Même chose du côté de gouvernement.fr. Sans oublier economie.gouv.fr, et impots.gouv.fr — entre autres sites.

Vous préférez commencer par une petite recherche sur Google ? Pourquoi pas. Google vous aidera sans doute à trouver le site le plus approprié. C’est sûr. Mais que tapez-vous dans la barre de recherche ? Bouclier tarifaire ? Amortisseur électricité ? Aide au paiement des factures de gaz et d’électricité ? Report de charges ? Étalement des factures d’énergie ? Difficile de choisir. Si vous vous dites qu’un médiateur public vous conseillera sans doute mieux que Google, vous avez probablement raison, mais encore vous faut-il savoir si c’est le médiateur du crédit, le médiateur de l’énergie, ou le médiateur des entreprises qui est le plus à même de vous aider. À moins que le commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) ne soit mieux informé, qui sait ? Peut-être le conseiller départemental à la sortie de crise pourra-t-il vous aider à trancher ? À vous de voir. Et si vous préférez la voie des e-mails, sachez que les adresses e-mail des services de l’État (qui ont le mérite d’exister) ne sont pas toujours optimisées pour le confort de lecture, comme a pu le constater Olivier Goy, le fondateur de la plateforme de crowdlending October.

Bref, de l’aide peut être nécessaire pour comprendre les aides. Le fait que la formule de certains dispositifs soit parfois modifiée en cours de route ne contribue sans doute pas à leur bonne compréhension par le public. Nous avons déjà parlé du « guichet d’aide au paiement des factures d’électricité », dont les PME devaient initialement être exclues en 2023, mais auquel elles ont finalement droit. Et ce n’est pas tout. Depuis le début de l’année 2023, les PME bénéficient de deux nouveaux dispositifs : le report du paiement des impôts et cotisations sociales (1) et l’étalement du paiement des factures d’énergie (2). Les contours de ces deux nouvelles aides ne sont pas encore limpides, mais les dirigeants qui souhaitent en bénéficier peuvent d’ores et déjà contacter l’Urssaf et leur fournisseur d’énergie — pour demander des délais de paiement supplémentaires ou un étalement des factures. Si tout ceci vous semble bien nébuleux, parlez-en à votre expert comptable. Il ou elle aura sans doute un avis éclairé sur les derniers dispositifs en vigueur. Vous pouvez même obtenir un rendez-vous confidentiel et gratuit avec un professionnel du chiffre.

Les défaillances d’entreprises augmentent à nouveau

Après avoir atteint un minimum historique en avril 2020, le nombre de défaillances d’entreprises remonte. D’après les chiffres de la Banque de France, 41 020 entreprises se sont retrouvées en situation de défaillance en 2022. Ce chiffre reste certes inférieur de 20 % à ce qu’il était en 2019, année durant laquelle 51 145 entreprises ont connu une défaillance, mais il progresse néanmoins, notamment chez les petites entreprises (10 à 49 salariés). Chez les petites entreprises, c’est-à-dire parmi les « petites » PME, les défaillances ont déjà dépassé de 22 % leur niveau de 2019, puisque 811 petites entreprises sont passées par la case tribunal de commerce en 2022 alors que seules 664 s’étaient retrouvées dans cette situation en 2019.

Comment vont les « grosses » PME, celles qui emploient de 50 à 249 personnes, et que la Banque de France désigne par le vocable « moyennes entreprises » ? Elles ont connu plus de défaillances en 2022 qu’en 2019, elles aussi — 271 contre 250 —, ce qui représente une hausse de 8,4 % par rapport aux chiffres du « monde d’avant ». Nuance tout de même : qu’elles soient « petites » ou « moyennes », les PME ne sont pas toutes dans le même bateau. Les défaillances sont plus nombreuses dans les secteurs du commerce et de la construction, deux secteurs particulièrement touchés par le Covid-19 et l’inflation. À l’inverse, les entreprises du transport et de l’industrie affichent un nombre de défaillances particulièrement bas.

Au total, le nombre de défaillances « se normalise » d’après la Banque de France, sans prendre des proportions dangereuses pour autant. Même son de cloche du côté du ministère de l’Économie, puisque Bruno Le Maire a pris la parole pour dire qu’il ne voyait pas de « mur de faillites » à l’horizon — manière de rappeler, indirectement, que les aides gouvernementales ont permis de contenir l’inflation. Sans le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité, l’INSEE a estimé que les prix de l’énergie auraient augmenté de 50 % entre 2021 et 2022. Avec le bouclier tarifaire, le coût de l’énergie n’a pris « que » 20 % dans le même temps. Le calcul de l’INSEE ne dit pas où serait l’inflation si le parc nucléaire français était dans une forme olympique, mais c’est un autre débat.

À parcourir

Les pays d’Europe du Nord se passent si facilement d’argent liquide que les braqueurs scandinaves font grise mine. En 2022, le Danemark a enregistré précisément 0 (zéro) braquage de banque. leparisien.fr

Les tarifs de Memo Bank vont changer au 1er février 2023 : nous avons décidé de jouer sur le contenu de nos abonnements mensuels, plutôt que sur leur prix. Le détail des changements est disponible sur notre site. memo.bank/magazine

Bercy a fait le point sur ce qui va changer pour les entreprises en 2023. Si vous ne devez lire qu’une synthèse, lisez celle-ci. economie.gouv.fr

La Banque d’Angleterre a présenté les billets à l’effigie du roi Charles III, billets qui devraient entrer en circulation courant 2024. bankofengland.co.uk (page en anglais)

Selon Météo France, l’année 2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France. meteofrance.com

Des chiffres

Peu affectées par la hausse des prix de l’énergie, et plutôt avantagées par la hausse des taux, les banques traditionnelles ont limité la hausse de leurs tarifs à 2 % en 2022 — ce qui les situe bien en dessous de l’inflation (6 %). C’est en tout cas ce qui ressort d’une enquête menée par le CLCV, une association de défense des consommateurs et usagers.

Des lettres

« Nous rejetons trop facilement nos difficultés sur des épouvantails abstraits, comme le progrès, la technique, la bureaucratie. Ce ne sont pas des techniques ou les formes d’organisation qui sont coupables. Ce sont les hommes qui, consciemment ou inconsciemment, participent à leur élaboration. »

— Michel Crozier (1971). Le phénomène bureaucratique.

À pourvoir

DevOps. — Nous avons un poste de site reliability engineer à pourvoir. Poste garanti sans dette technique vieille de 20 ans — blague facilitée par le fait que nous n’existons que depuis 2016.

Brice Boulesteix

Rédacteur