Un exemple de transformation numérique réussie
Pour paraphraser Léon Tolstoï, on pourrait dire que toutes les transformations numériques qui finissent mal échouent pour les mêmes raisons, alors que les transformations numériques qui finissent bien réussissent pour des raisons différentes. Comme les causes qui conduisent à l’échec d’une transformation numérique sont toujours les mêmes, il est facile d’en dresser la liste. C’est précisément ce que vient de faire le magazine Chef d’entreprise, avec un article malicieusement intitulé : Cinq conseils pour rater sa transformation digitale. Avant que vous ne tombiez de votre chaise, entendons-nous bien : cet article est à prendre au second degré ; il vise à montrer aux chefs d’entreprise les pièges à éviter en matière de transformation numérique, pas à les pousser au sabotage.
Quels sont les pièges à éviter quand on se lance dans une transformation numérique ? D’après le magazine Chef d’entreprise, la tentation de tout changer du jour au lendemain constitue un piège redoutable dans lequel les dirigeants pressés tombent hélas trop souvent. Parallèlement, la tendance qui consiste à multiplier les outils cause souvent la ruine des entrepreneurs qui confondent vitesse et précipitation. Enfin, l’absence totale d’écoute entre la direction et le personnel conduit souvent à l’échec d’une transformation numérique — pour des raisons qui n’ont alors rien à voir avec le numérique. Si la liste dressée par le magazine Chef d’entreprise a le mérite de renseigner les dirigeants sur ce qu’il ne faut pas faire en matière de transition numérique, elle ne dit pas ce qu’il faut faire pour réussir ce genre de chantier. Et pour cause : toutes les réussites sont différentes dans ce domaine.
Est-ce à dire qu’il est impossible de généraliser quand on parle de transformations numériques réussies ? Non, fort heureusement. Prenons un exemple de transformation numérique couronnée de succès. Le Parisien raconte cette semaine l’histoire de l’entreprise Sodiclair, une PME qui fabrique des rideaux à Nottonville (Eure-et-Loir). Sodiclair vend ses rideaux au travers de deux canaux : sur son propre site (stores-et-rideaux.com) et par l’intermédiaire de commerciaux itinérants qui couvrent plusieurs départements à eux seuls. Dans ces conditions, inutile de préciser que Sodiclair a perdu un canal de vente important quand ses commerciaux ont été confinés à leur domicile, au printemps 2020. Si les ventes de la PME ne sont pas arrêtés net lors du premier confinement, c’est parce que Stéphane Berretti, le dirigeant de Sodiclair, avait eu la bonne idée d’enclencher la transformation numérique de son entreprise au début des années 2010. Quand le gouvernement a contraint les commerciaux de Sodiclair à laisser leur voiture au garage, la PME a donc pu compter sur son site pour continuer à vendre ses rideaux.
La suite ? Sodiclair a multiplié par deux ses ventes en ligne, bien aidée par le soudain engouement des Français pour la décoration d’intérieur. Au total, les ventes de la PME ont progressé de 20 % en 2020. Est-ce que Sodiclair doit son salut à son site internet ? Oui, sans doute, mais pas uniquement. En se lançant dans la vente en ligne il y a quelques années, Stéphane Berretti ne s’est pas contenté de créer un site web. L’entrepreneur en a aussi profité pour numériser la gestion de ses stocks, monter un service client, et apprendre à gérer les paiements en ligne. En somme, Stéphane Berretti a dû apprendre à faire tout ce que ses commerciaux itinérants faisaient pour lui auparavant. Dans cette histoire, le site stores-et-rideaux.com n’est que la face émergée d’une transformation bien plus profonde, une transformation qui a poussé Sodiclair à modifier toute sa chaîne de valeur.
Sodiclair montre que les transformations numériques demandent des efforts. En se lançant dans la vente en ligne, Stéphane Berretti s’est fait violence pendant plusieurs années. Si le dirigeant de Sodiclair avait tenu à ménager ses 90 salariés, il aurait très bien pu continuer à s’appuyer sur son réseau de commerciaux. Au lieu de ça, Sodiclair a cherché à servir ses clients, tous ses clients, en permettant à ceux qui vivent loin des zones couvertes par ses commerciaux de se procurer les rideaux de la marque malgré tout. Choix payant, car Stéphane Berretti a pu continuer à vendre ses rideaux partout en France, même quand tout était fermé. Cerise sur le gâteau, avec internet, les coûts de distribution de Stéphane Berretti sont devenus nuls, car son site lui permet de toucher toutes les personnes intéressées par ses rideaux, où qu’elles vivent. En somme, comme toutes les transformations numériques réussies, celle de Sodiclair semble avoir payé du jour au lendemain, mais ce serait vite oublier qu’elle ne s’est pas faite en un jour.
Si les bureaux sont morts, qu’est-ce qui remplace les bureaux ?
Dans le « monde d’avant », le télétravail était parfois contesté au motif que les outils permettant de travailler en ligne n’étaient pas encore prêts, pas suffisamment fiables. Depuis, une pandémie est passée par là, entraînant avec elle un premier confinement, puis un deuxième, puis un troisième… Trois confinements plus tard, les dirigeants qui doutaient de l’efficacité des outils de collaboration en ligne sont forcés de se rendre à l’évidence : s’ils ont pu poursuivre leur activité durant la crise sanitaire, c’est en bonne partie grâce aux outils dont ils questionnaient l’efficacité jusque-là. Google Workspace marche. Slack marche. Microsoft Teams marche. Zoom marche. Les applications de collaboration en ligne marchent. Sans elles, la plupart des sociétés de services n’auraient pas eu d’autre choix que de mettre leurs employés au chômage technique à partir de mars 2020, faute de pouvoir les accueillir au siège. Grâce aux outils de collaboration, les dirigeants ont pu fermer leurs bureaux sans couper leur activité pour autant. Ils ont pu constater que le télétravail était techniquement possible désormais.
Puisqu’il est devenu compliqué de refuser le télétravail sur la base de considérations purement techniques, le débat autour du télétravail se déplace à présent sur des considérations plus culturelles. Parmi les nombreuses questions culturelles posées par la généralisation du télétravail, la question du lieu du travail revient souvent. Que devient le lieu de travail quand le travail a lieu en ligne ? À partir du moment où les employés de bureaux peuvent travailler partout où il y a du WiFi, à quoi servent encore les bureaux ? Et si les employés ne viennent plus au bureau que de temps en temps, où vaut-il mieux qu’ils travaillent le reste du temps ? Depuis chez eux ? Pourquoi pas, mais tous ne disposent pas d’un logement suffisamment grand pour y travailler dans de bonnes conditions. Si la présence au bureau n’est plus requise tous les jours, et si le domicile n’est pas un lieu de travail idéal le reste du temps, que reste-t-il ? À cette question, la fondation Travailler autrement répond : « il reste les espaces de coworking ».
La fondation Travailler autrement est un groupe de réflexion fondé par des sociétés de portage salarial, des cabinets de conseil, et des syndicats de cadres, dans le but d’éclairer le débat public sur les « nouvelles formes d’emploi ». À ce titre, et avec le soutien de 33 personnalités, la fondation Travailler autrement vient de publier une tribune dans laquelle ses membres plaident pour la mise en place d’un « chèque bureau universel ». Un chèque quoi ? Un chèque bureau, c’est-à-dire un bon d’achat qui fonctionnerait à la manière des chèques vacances, et que les salariés pourraient dépenser dans tous les espaces capables d’accueillir des télé-travailleurs — espaces de coworking, bureaux partagés, et même hôtels reconvertis en bureaux à la demande. Avec les chèques bureaux universels, les employés auraient ainsi accès à des espaces de travail « neutres », à la fois mieux équipés que leur domicile et moins difficiles d’accès que leurs bureaux traditionnels.
D’après la fondation Travailler autrement, les chèques bureaux pourraient être émis par les employeurs directement, ou par le biais d’organismes spécialisés, comme c’est déjà le cas pour les chèques vacances — avec l’agence nationale pour les chèques vacances (ANCV). Quant à savoir qui devra payer les fameux chèques bureaux, les auteurs de la tribune proposent que le financement soit réparti entre l’État, les entreprises, et les communes. Pourquoi solliciter les communes ? Parce que ces dernières auraient tout à gagner à encourager le coworking sur leurs terres. Les télé-travailleurs que les communes pourraient ainsi attirer constitueraient autant de clients potentiels pour les commerces et les restaurants du coin. L’argumentaire des communes pourrait prendre la forme suivante : « Venez pour le coworking, restez pour le bistrot d’à côté, et profitez du temps de trajet économisé pour passer chez l’épicier d’en face en fin de journée. »
Et les employés dans tout ça ? Qu’en disent-ils ? Si nous ne savons pas encore ce que les employés pensent du « chèque bureau universel » en lui-même, nous savons déjà ce qu’ils pensent des espaces de coworking. Une récente étude publiée par l’ESSEC, une école de commerce parisienne, semble montrer que les employés de bureaux sont assez peu attirés par les espaces de coworking. À la question « quel est pour vous le bureau idéal ? », environ 3 % des 1 868 employés sondés par l’ESSEC ont répondu « un espace de coworking » — les autres préférant les bureaux de leur employeur, que ce soit sous la forme d’un bureau individuel fermé, ou d’une place attitrée dans un open space. Est-ce que la mise en place d’un « chèque bureau universel » suffirait à faire changer d’avis les employés pour qui les bureaux partagés ne constituent pas un premier choix ? Pas sûr, mais d’après Le Monde, l’idée d’un chèque bureau fait son chemin.