L’inflation s’emballe dans les pays de la zone euro
C’est une gifle dont se seraient bien passés les pays de la zone euro. Depuis quelques jours, les instituts de statistiques européens publient les chiffres fracassants de l’inflation au mois de mars. 9,8 % de hausse des prix en Espagne : du jamais vu depuis 1985. 7,3 % en Allemagne : un record depuis 1981. 6,7 % en Italie : un record depuis 1991. En France, l’Insee vient aussi de publier ses chiffres : 4,5 %, soit la plus forte augmentation des prix depuis 1985.
Comment expliquer cette hausse généralisée des prix ? Penchons-nous sur la façon dont est calculée l’inflation. La Banque centrale européenne (BCE) explique que les pays de la zone euro utilisent une méthodologie similaire pour calculer l’inflation, nommée IPCH (indice des prix à la consommation harmonisé). L’IPCH permet de comparer l’inflation entre les différents pays européens — et sert de support à la politique monétaire de la BCE. Chaque mois, des enquêteurs relèvent les prix de biens et de services consommés par les ménages : biens non durables (alimentation, électricité, essence…), biens durables (vêtements, téléphones…), services (restaurants, loyers, assurances…). 1,8 millions de prix sont relevés dans la zone euro, dans 200 000 points de vente (en magasin et en ligne), dans près de 1 600 villes.
À partir de ces millions de prix, les instituts de statistiques composent un panier moyen — une liste représentative de biens et de services que consomment les ménages. L’inflation est calculée en comparant le prix de ce panier moyen sur un mois donné, au prix de ce panier moyen sur le même mois de l’année précédente. Quand vous entendez que l’inflation est de 4,5 % en mars 2022, cela ne veut donc pas dire que les prix ont augmenté de 4,5 % par rapport au mois de février 2022 — mais qu’ils ont augmenté de 4,5 % par rapport au mois de mars 2021.
Comme les ménages dépensent plus d’argent dans certains biens et services que dans d’autres, certains biens et services pèsent plus que d’autres dans le calcul de l’inflation — par exemple, l’essence pèse dix fois plus que le café. Et selon les périodes, ce ne sont pas les mêmes biens et services qui font varier la valeur de l’inflation. En ce moment, l’inflation s’explique principalement par la hausse des prix de l’énergie — déclenchée par la reprise économique post-Covid, et aggravée par la guerre en Ukraine, qui fait notamment flamber le prix du gaz. En un an, la hausse des prix du poste énergie du panier moyen aurait été de 29 %. Selon Les Échos, cette hausse expliquerait plus de la moitié de l’inflation, calculée à 4,5 % par l’Insee.
Pourquoi l’inflation est-elle, en France, nettement inférieure aux autres pays européens ? Réponse politique : tous les pays européens ne sont pas dans un contexte électoral. Réponse économique : le gouvernement a multiplié ces dernières semaines les mesures pour atténuer les effets de l’inflation, principalement pour les particuliers — indemnité inflation défiscalisée de 100 euros versée à 38 millions de Français, plafonnement de la hausse des tarifs de l’électricité et du gaz… Selon La Tribune, sans ces mesures, l’inflation aurait été en France, en mars, de 6 % au lieu de 4,5 %. Le gouvernement a également présenté le 16 mars dernier un « plan de résilience économique et sociale », qui contient des mesures pour aider les particuliers et les entreprises — la mesure la plus emblématique étant la remise de 15 centimes par litre de carburant à partir du 1er avril. Ce plan inclut aussi une aide pour les entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent au moins 3 % de leur chiffre d’affaires. Cette aide prendra en charge la moitié du surplus de dépenses énergétiques des entreprises concernées, dans la limite de 25 millions d’euros par entreprise. Par ailleurs, le montant du prêt garanti par l’État (PGE) est relevé : il pourra désormais atteindre 35 % du chiffre d’affaires, contre 25 % auparavant. Le PGE reste disponible jusqu’au 30 juin 2022.
Ces aides sont les bienvenues pour beaucoup d’entreprises, qui subissent la hausse des prix de plein fouet — hausse des prix de l’énergie, et plus généralement hausse des cours des matières premières, qui les a frappées avant de frapper les ménages. Peu de ménages achètent du cobalt, ou du blé : les ménages achètent des téléphones (qui contiennent du cobalt) et des pâtes (fabriquées à partir de blé). La hausse des prix des matières premières se répercute automatiquement sur les prix de ce que consomment les ménages, mais parfois de façon décalée. Les entreprises, elles, achètent directement des matières premières, et subissent donc depuis plusieurs mois une inflation liées aux achats de matières premières — inflation que n’avaient pas subie, jusqu’à récemment, de nombreux ménages. Les entreprises les plus touchées par la hausse des prix sont celles des secteurs les plus gourmands en énergie et en matières premières : les secteurs industriels et le bâtiment. D’autant que les entreprises (hormis les sociétés unipersonnelles et les très petites entreprises) ne bénéficient pas des plafonnements de prix dont profitent les particuliers. Le Monde a enquêté auprès de plusieurs entreprises industrielles françaises dont les coûts explosent.
Si l’industrie et le bâtiment sont les premiers touchés par la hausse des prix, tous les secteurs devraient pâtir de l’inflation. D’abord, parce que la hausse des prix devrait se transmettre à l’ensemble des produits et services : les entreprises qui subissent des hausses de prix sur leurs intrants répercutent cette hausse (quand elles le peuvent) sur les produits et services qu’elles vendent. Par ailleurs, les spirales inflationnistes conduisent, en théorie, à des hausses de salaires, les salariés demandant à leurs employeurs de compenser leur perte de pouvoir d’achat. Ces hausses de salaires alimentent elles-mêmes la hausse des prix.
Les bons payeurs restent les PME
Il y a quelques mois, l’Observatoire des délais de paiement, une instance rattachée à la Banque de France, a publié son rapport de 2020 sur la rapidité avec laquelle les entreprises françaises paient leurs fournisseurs. Le rapport montrait que la crise du Covid avait fait bondir les retards de paiement en 2020, c’est-à-dire les paiements de factures au-delà du délai légal de 60 jours. De 11,24 jours en janvier, les retards de paiement étaient montés à 15,3 jours en août — avant de redescendre à 12,84 jours en décembre. Attention : le chiffre des retards de paiement n’est pas la moyenne des délais de paiement. Il ne signifie pas qu’en moyenne, les factures étaient payées en décembre 2020, en France, avec 12,84 jours de retard. Il signifie que, sur les factures en retard, le retard moyen était de 12,84 jours. Le chiffre des retards de paiement prend uniquement en compte les factures payées en retard.
Le cabinet Altares, qui fournit les données utilisées par l’Observatoire des délais de paiement pour ses études, a publié le 30 mars dernier un bilan des retards de paiement en France, en 2021. Le cabinet montre que les retards de paiement ont continué à baisser au second semestre 2020, et tout au long de l’année 2021, après leur pic de l’été 2020. La baisse est modérée : de 12,84 jours en moyenne en décembre 2020, les retards de paiement sont passés à 12,4 jours au dernier trimestre de 2021. La moyenne sur l’année 2021 est de 12,5 jours de retard.
Altares a également analysé les retards de paiement par taille d’entreprise. Une nouvelle fois, le cabinet constate que plus l’entreprise est grande, plus elle paie en retard. Les entreprises de moins de 50 salariés, et celles entre 50 et 199 salariés, affichent respectivement des retards de paiement de 12,4 jours et 12,6 jours ; deux chiffres en baisse par rapport à 2020. En revanche, les entreprises qui emploient entre 200 et 999 salariés, et celles de plus de 1 000 salariés, affichent des retards de paiement de 14,9 jours et 17,4 jours ; deux chiffres en hausse par rapport à 2020.
Enfin, le cabinet Altares s’est penché sur la variation des retards de paiement en fonction des secteurs et des régions. En matière de secteurs, tous les secteurs voient leur nombre de jours de retards diminuer, à l’exception de l’hôtellerie-restauration et du commerce — deux secteurs durement touchés par la crise sanitaire. En matière de région, l’Île-de-France est de loin le plus mauvais élève, peut-être en raison de la concentration de grandes entreprises et d’ETI dans la région. Les bons élèves sont plutôt à l’ouest : Bretagne, Centre-Val-de-Loire, Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine — et Bourgogne-Franche-Comté.